In memory

24 may. 14
Vernissage de l’exposition consacrée au travail de Gordon Bradshaw hier soir,

 en présence d’Elizabeth sa compagne. David Lewis, commissaire de l'exposition, a fait une conférence sur la tradition du paysage dans la peinture anglaise.  Qui a  très largement éclairé le travail de Gordon en le resituant dans son histoire. ( à cette occasion j’ai découvert les peintures de Ivon Hitchens que je ne connaissais pas)
J’y ai lu  le petit texte qui suit écrit en mémoire de Gordon

C’est le plombier qui m’a prévenu ! Il fallait aller régler un four à céramique chez un couple d’anglais tout près de chez moi. J’y suis donc allé sans imaginer une seconde qu’allait naître de cette rencontre plutôt technique, une amitié qui dura toutes ces dernières années.
Les cheveux blancs, longs, la barbe longue et blanche, le regard très clair et affuté Gordon était déjà âgé lorsque je l’ai rencontré. Mais il avait encore cette vitalité qui pousse les artistes à ne jamais quitter les pinceaux, à ne jamais laisser tomber les carnets et à toujours tenter de remodeler la terre. Il organisait alors sa vie entre l’art et le jardin. (Mais peut-être que pour un anglais, il s’agit de la même chose?). Essayant de comprendre comment se construisent les paysages, comment les espaces s’organisent et comment par le regard nous influons sur notre environnement.  « La nature imite l’art » disait Oscar Wilde. Gordon, lui,  peignait. Il peignait ce qu’il essayait de voir, ou peut –être peignait-il parce que ça lui permettait de voir ?
De voir le jardin, qu’il installait, qu’il construisait et dans lequel il pouvait refaire des croquis qui deviendrait peintures et sculptures, qu’il remettait au jardin … bouclant ainsi un cycle d’une cohérence incontestable.
Nous avons passé des heures et des heures auprès du four à cuire ses sculptures - je parle là aux initiés. A ceux qui savent ce que ça veut dire d’intimité. Ces moments partagés dans le calme alors que les pièces cuisent dans le ronflement des bruleurs, sont toujours d’une grande densité et forgent des liens indestructibles. J’aimais cette façon, à la fois attentive et décontractée, qu‘il avait de cuire. Bricolant son four, essayant des réglages, prenant toujours au passage le risque d’un jeu de mot, une plaisanterie qu’il fallait alors tenter de traduire pour y trouver un sens commun à nos deux langues. Gordon portait un grand intérêt à la céramique. Un grand intérêt à la poterie qu’il savait regarder comme peu de gens … mais peut-être était-ce là encore une marque de sa culture absolument anglaise ? C’est cette passion qui nous réunissait et c’est par ce biais que j’ai pu regarder ses peintures.
Faisant visiter son atelier à une amie que je venais de lui présenter. Et alors qu’il lui tendait, grand ouvert, un carnet de peinture. Il lui dit : « j’étais peintre de paysage et puis en vieillissant … je suis devenu fou! » Mais cette soi-disant folie n’était  bien sûr que de la singularité. Gordon était un peintre, artiste qui ne lâchait rien de son chemin entrepris : aucune concession,  aucune tentative de séduction … faisant simplement un travail rigoureux. Prenant en compte l’histoire et tentant de faire, encore une fois,  une peinture qui remplacerait toutes les autres. Il avait décidé d ‘y consacrer sa vie,  mettant de côté son travail de professeur dont il  avait gardé une capacité d’écoute et un regard toujours curieux des autres.
On se voyait de temps en temps à l’atelier, nous échangions alors sur les difficultés inhérentes à nos choix. On se voyait de temps en temps à Livry,  devant le poêle, à partager chaleureusement un verre de bordeaux. C’est cette fraternité qui nous unissait sachant tous les deux la nécessité de ce que chacun de nous faisait.  
Nous avons finalement eu peu d’années en commun, mais ce furent des moments intenses pendant lesquels il m’aura fallu apprendre que les cuissons se démarrent at sparrow’s fart. Moi, qui pensait qu’il suffisait de les commencer tôt ! Sa malice et sa douceur me manqueront. Restent les peintures … restent toujours les peintures.… PG  mai 2014

image : view of plynlimmon de Gordon Bradshaw