l’éducation des choses

10 dec. 15

”Il nous faut commencer à considérer l’éducation comme quelque chose qui concerne au moins en partie la manière dont les gens perçoivent. Si nous ne le faisons pas, d’autres le feront, et toute notre structure de pensée s’évanouira aussi rapidement que cela a été le cas dans l’Allemagne nazie(…)Pendant que l’intellect s’y trouvait aiguisé et poli, la sauvagerie y faisait son chemin en attendant son heure” (1) Double carambolage dans ma tête provoqué par cette phrase de John Rice fondateur du black Mountain collège, lue dans dans un essai (2) que je viens de recevoir alors que je passe la semaine auprès d’étudiants … l’écho se fait entendre d’abord sur les temps de barbarie que nous vivons et prend ensuite aussi son sens alors que j’essaye tous les jours de parler de l’importance de la mise en avant d'une vision sensible du monde. L’artiste produit des percepts nous dit Deleuze. Percepts qui prennent sources dans les sensations vécues. Au-delà des concepts qui semblent aujourd’hui tous puissants à rendre les œuvres possibles, il y a une voie qui échappe à cette résolution de l’intellect : la voie sensible, qui accompagne l’expérimentation de la matière et offre par là une vision matérialiste plus sensitive des choses qui nous entourent. L’étymologie du mot ”sensations” : sensatio ( compréhension ) dérivé de sentire (sentir), nous en dit long sur les connexions entre le monde sensible et le monde intellectuel. Difficile pourtant dans les écoles de faire entendre les possibilité d’une pensée plus intuitive. Les temps sont à l’intellect, à la démonstration magistrale et non au flou qui règne autour de nos sensations pourtant toujours présentes et toujours à l’origine des visions qui précèdent nos travaux. Nos sens nous apprennent la réalité du monde et nous renseignent sur la place que l’on y tient. Nos sens font sensation et nous permettent de comprendre. Faut-il alors accepter de toujours revenir aux concepts pour commenter les décisions prisent? Faut-il accepter simplement de justifier ce que l’on fait?
J’ai conscience en écrivant ceci que tout n’est pas très clair. Mais j’ai l’intuition que notre pratique illustre notre histoire bien au-delà de tout ce qu’on peut en dire. Il suffit pour le percevoir de regarder les œuvres et d’écouter, tout en les caressant, le silence qui en émane.

(1) harper’s monthly magazine cité p.5, cité p.9 du livre ci-dessous
(2) BLACK MOUNTAIN COLLEGE art, démocratie, utopie sous la direction de Jean Pierre COMETTI et Eric GIRAUD Presses universitaires de Rennes 2015

image: détail d'une pièce de "parties intimes"