l'espace temps
C'est maintenant l'hiver,
et je dois chauffer l’atelier de modelage pour pouvoir travailler. C’est toujours une période un peu difficile. L’humidité est prégnante et me raidit les articulations.
J’allume le poêle, le matin.
Brûle un peu d’encens… celui des temples vietnamiens.
Un autel des ancêtres qui n’en n’a pas la forme.
Un moment pour ma mère.
Je ne sais pas exactement en quoi mon travail a à voir avec elle, mais l’atelier en est le lieu de souvenir. Je ne sais pas non plus, comment cette habitude s’est incrustée dans l’atelier, mais cet infime instant, que je répète à chaque fois que j'y entre, m’emplit d’énergie.
Mes morts ne sont jamais bien loin.
Les cuissons se sont espacées. Je reprends le modelage. Balancement lancinant d’une pratique qui nécessite une spécialisation des jours.
Des jours de modelage aux jours de cuissons. Puis les jours d’émaillage et les jours de re-cuissons. Rarement ils se chevauchent, et ne se font pas, non plus, dans les mêmes lieux. L’atelier est divisé en trois salles principales. Trois lieux pour trois temps.
Dans la premiere, je prépare la terre et les couleurs. J’y pose aussi les couleurs sur les pièces. Tout se joue dans un futur assez éloigné. La terre repose en vue des œuvres à venir, les pièces émaillées attendent les cuissons.
la "salle" des fours, contigüe, est le lieu d’un futur proche ... où quelques heures à peine me séparent des résultats.
L’atelier de modelage est, lui, le lieu du présent. La forme y naît sous mes yeux, dans mes mains, dans l’instant. C’est là où je passe le plus clair de mon temps. J’y lis parfois, j’y dessine aussi et entretiens en hiver le feu du poêle. Comme on entretenait le foyer à l’entrée de la caverne. C’est là aussi que brûle l’encens. Les fumées qui éloignaient les mauvais esprits maintiennent maintenant le contact avec les proches. Présence discrète du passé.
Trois salles dans l’ordre des choses : le présent, le futur proche et le futur plus lointain. Les ateliers de céramiques sont des salles d’attente.
Le stockage est dans un autre bâtiment, éloigné, où se mêle le passé des pièces terminées et la sortie future des œuvres pour les expositions.
Dans les manuels des années 70, on conseillait de construire les ateliers autour du point d’eau. J’avais alors considéré cette approche. Par la suite, j’ai supprimé le point d’eau me servant exclusivement d’eau de pluie. Pour finalement me rendre compte que l’organisation des lieux ne se fait pas autour d’un champ technique, mais bien à partir des relations que cette pratique me permet d’entretenir avec le temps.