intervenir

02 feb. 14
Intervenir en école d’art c’est se confronter à la question de la transmission.

Trois jours de workshop … trois jours à essayer de dire clairement ce qui me tient debout … même si ce quelque chose est  surtout un doute énorme et une somme d’hésitations phénoménale. Il s’agit de faire comprendre qu’il n’est pas question de réussite spectaculaire, mais d’un sens général, d’une philosophie personnelle construite jours après jours à force d’expérimentations … il n’est question que d’engagement et de nécessité.
Quand je me présente, il y a un projet … définit … comme je fais d’habitude. Quelques lignes qui me permettent de commencer, de donner l’impulsion.
Et puis : Je passe mon temps à lire des textes, dans lesquels je dis que ce qui m’intéresse le plus c’est la digression, la dérive … Et le projet s’éloigne au bénéfice d’une tension particulière qui mène les étudiants au travail. Je ne sais pas bien si ceci est compris, si ceci est  visible. J’ai l’impression qu’on ne fait pas grand-chose; mais ce qui est fait l’est dans une réelle approche aventureuse, sans souci de résultats probants.  Les jours de modelage sont d’abord collectifs puis il faut cuire et se remettre à soi. A chaque fois c’est pareil : on se lance sans réfléchir dans les cuissons. Le problème des cuissons, c’est que tout est nouveau et que pour pouvoir faire quelque chose de lisible, il faut du temps,  et beaucoup d’expérience. Mais tout est tellement excitant. Alors que dire d’une telle journée ? Je les ai vu commencer à bricoler, commencer à patauger dans l’émail, cuire en rigolant devant les résultats comme le feraient des enfants … oui, mais ce sont des étudiants me dira-t-on. Et alors ? Il faut tellement d’années pour redevenir cet enfant qui travaille à plaisir, autant commencer dès l’école et ne plus perdre de temps dans des plans de carrières mal établis, qui ne mèneront qu’à la frustration. J’ai toujours pensé qu’il ne fallait rien attendre d’un workshop… pas de résultats, pas de belles pièces à exposer mais l’idée que le travail est en cours et que tout commence, que tout ne se passe que dans la rencontre. Trois jours : c’est le temps que durent les coups de vent chez nous.  Au bout de trois jours on est tannés ! C’est peut-être ça mon rôle d’intervenant : bousculer un peu tout, pour voir ce qui tient… et il en tient des choses. Car tous sont déjà pleins de rêves et pleins d’envie de faire. Alors, il n’y a qu’à provoquer et laisser-faire.
Je rentre toujours avec cette sensation bizarre d’avoir beaucoup dit  et de ne rien pouvoir faire de plus. C’est aux étudiants de jouer maintenant. A eux de trouver  de quoi sera faite leur vie.

De retour à l’atelier, je lis « le maitre ignorant » de Jacques Rancière, essayant de trouver les mots qui éclaireraient ces moments. Il y écrit, à la lueur d’une expérience d’un professeur  au XIX siècle, que l’instruction ne se donne pas … elle se prend. Cela rejoint ce qu’en disait  Jacqueline Lerat : « Le plus difficile ce n’est pas de donner, mais de laisser prendre » Notre travail serait alors simplement d’accompagner les moments de doute et d’abattement qui naissent de tout cet engagement. Le reste, les étudiants  le feront … ou pas.  

Ce texte figure en introduction au catalogue des diplmoes de ceramique de l'école Duperré.
Photo prise dans l'atelier de l'IRTS lors de ma dernière intervention.