les fleurs de Desvres
Tout pendant qu'elle parle
(Chez nous, on dit : tout pendant. C'est comme pendant, mais en plus appuyé). Tout pendant qu'elle parle, elle refait les gestes mille fois répétés à l'atelier, mille fois refaits ... La camera passe de son visage à ses mains. Pierrette Coquet était décoratrice et entre autres choses, faisait des fleurs pour les pièces mortuaires, le mobilier funéraire, et pour certains vases. Elle raconte et ses mains nous montrent à force d'habitude comment elle pinçait les pétales, comment elle lissait les feuilles. Elle parle de l'ambiance de l'atelier, des copines, mais ses mains ne parlent que d'elle, elle et la terre, elle et les fleurs. La mémoire est inscrite dans le corps, presque à ses dépends et c'est sans s'en rendre compte que ses mains reprennent le travail qu' elle a pu faire tous les jours, toute sa vie. On imagine alors les milliers de fleurs, les centaines de bouquets réalisés dans les manufactures. Du coup, nous sommes allés au cimetière voir toutes ces couronnes, toutes ces croix fleuries déposées silencieusement. Promenade le soir seuls avec Anne et Catherine, après la fermeture, comme la visite d'une exposition curieusement très gaie. Les pièces sont en grès et très bien conservées. Du plus modeste petit coussin fleuri à la grande couronne offerte par les collègues lors du décès d'un des leurs. Tous ces bouquets déposés fleurissant le passé de ces ateliers qui regorgeaient alors d'une activité qui semblait ne jamais pouvoir s'arrêter. Il ne reste pourtant que le cimetière et le musée pour rendre hommage à tout ce peuple de la terre. La céramique à Desvres est une histoire qui finit mal : Usines fermées, bâtiments détruits, reconversion, chômage…restent quelques traces dans l'architecture, quelques carreaux dans une vitrine et les fleurs au cimetière. Restent les histoires qui se racontent, les souvenirs et les gestes gravés dans les corps du metier. Reste le musée où quelques uns peuvent encore venir témoigner d'une vie qui pour eux avait alors du sens. Oubliant la dureté des réalités sociales, les fleurs du cimetières apaisent, pour nous, l'histoire.