artiste intervenant
Parmis toutes les interventions que j'ai pu faire dans les écoles,
il y a celles auxquelles je participe depuis des années à l’institut du travail social … Une poignée d’étudiants qui n’ont pas choisi, qui se retrouvent juste confrontés à une rencontre ponctuelle avec des artistes et leurs pratiques … le temps d’une petite semaine. Parenthèse dans leurs vies, qui peut marquer plus que prévu, plus qu’attendu, tant nos mondes leurs paraissent au départ, éloignés, alors qu’il s’agit bien du même … nous en sommes persuadés. Un groupe d’élèves à entrainer une semaine pour qu’ils gouttent un peu aux arcanes de la création artistique et qu’ils comprennent en le faisant, à quel point tout ceci relève de notre humanité entière.
J’aime ce rapprochement phonétique (mais pas que…) entre ”apprendre” et ”à prendre”. Comme s’il n’était possible d’apprendre qu’en se saisissant au passage de ce qui peut nous construire un peu plus. Je sais, quand je croise les étudiants, que je ne peux rien pour eux. Qu’eux seuls décident de ce qu’est leur vie, et qu’il s’agit pour moi uniquement d’une mise à disposition de mon expérience personnelle. La laisser ”ouverte”, disponible pour qu’ils puissent à leur tour s’en saisir, se l’ approprier … quelques bribes, au moins.
”Le plus dur - disait Jacqueline Lerat- ce n’est pas de donner mais de laisser prendre”(°) … donner serait déjà être sûr de ne pas me tromper. Je ne peux que les accompagner dans leur découvertes pour peu qu’ils acceptent de jouer le jeu: de prendre le risque de la fragilité de la mise à nu. Car d’un coup devant leur travail, ils se retrouvent loin des idées qu’ils se faisaient des autres et d’eux mêmes, constatant que tout leur est possible s’ils s’engagent réellement … sans quoi, rien ne se fera. Alors en s’éloignant des jugements hâtifs portés sur les résultats, ce sont les processus qui deviennent primordiaux, les règles que l’on se fixent et qui deviennent, pour le temps du travail, les lieux d’expression de nos libertés. Le plus difficile est toujours de les accompagner dans ce qui pourraient être leurs histoires, même si tout s’oppose à ce que de mon côté je cherche à mettre en place. La perte de la singularité serait ici un drame, puisque que cette notion est au centre de nos préoccupations d’artistes intervenants.
Pour certains le gout restera longtemps présent … pour d’autres, la crainte bien souvent, les éloigne de toutes ces questions. Il ne restera alors que la sensation d’avoir vécu autre chose que ce qu’ils venaient chercher à l’école : un sentiment provoqué par des rencontres imprévues, qu’ils mettront longtemps à décoder.
(°) Jacqueline Lerat,(1920-2009) fut professeur de céramique à l’école de beaux-arts de Bourges de 1966 à 1988
image : détail d'une petite composition d'éléments "roulés", réalisée par des etudiants de l'IRTS