bastir sa vie
en se racommodant avec le monde.
Bâtir de bastir "traiter les fils de chanvre" (basta), par analogie appliqué à la construction d’une clôture (tisser, tresser), puis à la construction d’ouvrages fortifiés.
Brique du néerlandais "bricke" probablement rattaché au verbe breken : casser en morceaux
Je rentre à l’atelier fermé depuis 10 jours.
J’y avais laissé un ensemble de pièces à sécher avant de partir … quelques pots, des briques et des pavés en torchis qui ont un peu moisi.
Le foin frais rajouté à la terre entraine souvent cette réaction. Le noir et le blanc des moisissures ornent les pavés. L’odeur douce de cette terre à bâtir pleine encore des vies passées.
La maison de l’autre côté de la route s’est beaucoup effondrée cette année … m’offrant une nouvelle carrière, un nouveau mur avachi dans lequel je viens cueillir la terre.
J’y entends les enfants (y en avait-il ?)
J’y vois les animaux : les petits coléoptères qui habitent la ruine et les araignées.
Dès que je la retravaille la terre redevient jaune. Les maisons devaient être très belles à la fin des chantiers : Les murs jaunes et les bouquets sur les charpentes. Les gris viennent après. Le gris et le noir des histoires qui les recouvrent.
Je reviens avec l’envie de cuire et de finir ces pièces pour une hypothétique exposition… on fait comme si de rien n’était. On élabore un calendrier qui peut-être s’invalidera de lui-même, bousculé par le virus. Nous ne savons rien des temps qui s’annoncent. Seul le temps du travail à l’atelier garde sa réalité. Le maitre-temps est, dès lors, le présent. Au jour le jour, à l’heure l’heure, dans son entière densité.
Ne plus prévoir et travailler.
Pas pour produire… pour être… au delà de l'incertitude.
Les mains dans la terre, je sais ce que je fais, ce que je suis. Je sais ce dont je suis fait : de la boue, des ronces et quelques souvenirs. Cette maison qui s'écroule est ma maison. C’est elle qui m’habite. La ruine riche des pièces à venir autant que des histoires passées. De la terre, des pierres et la pluie qui la délabre.
Alors je la refais … briques par briques. Je retasse la terre dans les moules. Chaque brique est un point du bâti qui préfigure la construction. Mais que savent les briquetiers des maisons qui se construisent ? … ce n’est pas leur objet. La brique est leur unique projet… le bâti du bâtiment … on construit comme on rapièce : pièce par pièce, morceau par morceau, briques après briques au fil des besoins. Pas de plans. La répétition des gestes et des modules détermine la composition.
Les canadiens parlent des maisons « pièces sur pièces »… il en est de même pour mes pantalons. Les couches de tissus s'y superposent comme des rangs de briques pour parfaire l'abri, la carapace. Le fil de bâti et le fil à plomb en furent les règles souples. A l'instar de ces kimono indigos usés jusqu'à la trame, les murs de terre s'érodent et fondent sous la pluie. Il faut alors les réparer, reposer une pièce, boucher le trou pour pouvoir, encore un temps, vivre avec. Le dessin qui en résulte est un dessin de nécessité, un dessin utilitaire. Réparer un mur d'une brique rajoutée, préparer un peu de pisé pour faire une reprise… combattre l'irrémédiable usure, repousser alors la catastrophe du temps. Le rapièçage est un refus… une position vitale.
Les maisons et les vêtements sont nos demeures ... murs et tissus, briques et pièces racommodées, terre et fils tissés.
Le ravaudage est une prière.
Image : adobes sur un de mes pantalons aout 2020