briques quotidiennes
Je continue jours après jours
à travailler la terre de cette maison en ruines.
Le seau dans lequel je me rince les mains pue de plus en plus … une acre odeur de vase.
Le limon au fond du seau comme les vases des grands fleuves.
La richesse des pourritures.
Les parties végétales qui lient le pisé ont pourri au fil du temps, et je dois en rajouter si je veux éviter les fissures, les retraits trop importants. C’est comme si je remettais à jour cette matière … La terre pourtant est toujours la même, depuis des millions d’années.
Elle est là.
Juste érigée du sol en mur, puis, retombée au sol et relevée pour un temps, sous formes de briques ou de pavés. Remouillée, pour passer par la boue et pouvoir être moulée. Le moule qui me sert pour les pavés fait 30,5cm x 34,5cm x 6cm. L’original est un vieux moule en bois que nous avions confectionné au début que nous étions à la maison, pour couler un regard en ciment. Je l’ai retrouvé il y a quelques années dans un tas de bois à brûler.
Je ne pouvais pas passer à côté de cet objet confectionné pour couler un regard. N’est-ce pas finalement ce que je tente de faire tous les jours à l’atelier ? Couler un regard curieux sur le monde qui m’entoure !
Le moule à briques fait, lui, 11cm x 6 cm X 24 cm … il correspond à la taille de mes pieds. Soit, 2 cm de plus qu’une brique normale. Les dimensions des pavés et des briques ne sont pas modulables, ( la paneresse (grande face de la brique) est plus grande que deux fois la boutisse (petite face)) ce qui oblige à les installer autrement qu'en appareillage traditionnel. Les pavés sont presque carrés et les briques presque normales.
C’est ce presque qui décale un temps le regard. Le presque dans lequel se glissent toutes les possibilités d’une mise en forme inattendue, toutes les gênes qui éloignent définitivement la répetition. Ces 2cm de presque qui dérèglent les automatismes et empêchent de penser court. Impossible de croiser les briques, il faut alors trouver d’autres solutions si je veux les monter en un mur. Impossible de croiser les pavés au sol. Il en résultera donc des formes, plus libres, moins régulières et moins utilitaires aussi.
Il en va donc des briques et des pavés comme des pots : il y a ceux qui servent et qui sont faits pour ça, et ceux qui servent à d’autres choses.
image: briques séchant dans les moules au soleil couchant.