l'ancien

28 may. 23

J’ai acheté, il y a quelques jours chez un brocanteur,

un pot ancien fait, vraisemblablement, à Noron-la-poterie. C’est une bouteille ansée, cruche ou cruchon à calvados de bonne contenance. H : 40cm, diam : 30cm, pour un poids de 5,5 kg. Ce pot, cuit couché au vu des marques de feu, a été cassé et réparé comme on le faisait à l’époque (pas de kintsugi !). Quatre agrafes y sont posées, l’une d’entre elles a disparu, rongée par le temps.
Il avait déjà eu des aventures avant cet accident : Une flaque d’émail (comme celui qui était posé sur les tuiles faitières) le recouvre partiellement et trois marques de cuisson (traces des pots enfournés à son contact) en ont légèrement déformé la panse. Un morceau de pièce ou peut-être un bout du four est resté collé à la base de l’anse. C’est cette accumulation d’accidents (et son prix modique) qui m’ont fait me décider à l’acheter.
J’aime les histoires qu’il me raconte, de sa vie et de sa fabrication. J’aime aussi l’attention qui lui a été porté au point que l’on a décidé de le réparer plutôt que de le jeter.
Je l’ai déposé dans l’atelier où il trône en frère ainé à côté de mes pots. Une vraie gueule cassée. Témoin d'un temps où les poteries, indispensables à toute activité, régnaient en humbles maîtres dans les intérieurs domestiques.

Quand j’ai commencé à faire de la céramique, j’allais régulièrement à Noron pour acheter de vieux pots.
Ceux qui avaient des défauts m’intéressaient plus que les autres -En particulier les larmes de potiers qui tombaient des voutes grêlant les pièces d’impacts brillants. On les trouvait encore accumulés dans des champs qui servaient de poubelles. Les potiers ne gardaient pas ces témoins de cuissons brutales. Ils n’en n’étaient pas fiers. Alors qu’au même moment, au Japon, ces pots étaient érigés au statut d’œuvre d’art, devant une grande part de leur qualité à la force du feu. La céramique d’Asie encore méconnue nous montrait à quel point il était important que la marque de l'auteur disparaisse derrière la puissance des éléments travaillés.
Ici on cherchait la preuve de la beauté du geste appris, là-bas on regardait faire la nature en essayant de ne pas trop la contraindre. Ça a été pour moi une grande leçon. Et pendant toute ma vie de potier, je n’ai cessé de me positionner en regardeur plus qu’en décideur : Je propose des choses et je regarde ce qui se passe. C’est ainsi que j’émaille.

J’ai démonté le petit système dont était équipé le pot, le sauvant ainsi de la pire mort qui soit pour les cruchons à calva : finir en pied de lampe, parfois même doté d’un abat-jour en macramé que la lumière ne peut traverser.