pourquoi rester tranquille?
ne cesse de me revenir, accompagnant le souvenir de ses premières pièces blanches.
Quelle que soit la raison intime du changement qu'elle opéra dans son travail, il en reste la marque d'une liberté affirmée. L'artiste, c'est bien clair, ne fait que ce qu'il veut … que ce qui lui est nécessaire au moment de la construction d'un travail qui semble incontournable. Décevoir. Combien d'observateurs attendent des résultats précis, une suite logique au travail engagé… sans surprise, sans rien qui ne puisse bousculer le confort de leur pensée. Une suite qui prouverait qu'ils ont toujours tout compris de ce travail, jusque dans les questionnements les plus profonds. Une suite flatteuse, qui illustre aux yeux de tous, leur perspicacité. Il y a pourtant parfois une odeur de trahison dans les revirements brutaux qui remettent en cause les attendus - qui paraissaient pourtant assurés-. La linéarité de l'histoire est un total malentendu. L'art n'a pas de destinataire. Il n'est fait ni pour les critiques, ni pour les collectionneurs et les pièces réalisées essayent seulement de servir une pensée toujours en mouvement. C'est comme ça que Guston se permet ces dessins trasch ou que Pollock revient sur la fin de sa vie à une figurations naissante. On peut alors les compter sans fin: Schwitters qui refait des paysages, Malevitch qui se met à peindre des icônes etc etc. Ce sont ces moments artistiques qui sont les plus importants à mon sens, les moments de remise en cause personnelle qui loin de la notion d'un possible progrès, font s'éloigner les questions de styles. Non, Anne Bulliot n'est pas la femme qui fait des pièces noires,( je souris à l'idée que ces pièces ne sont plus polies!). Elle est simplement une artiste qui s'oblige à l'honnêteté … décevant parfois … trahissant des attentes affectives … mais suivant son chemin comme on tente tous de le faire, dans un constant combat avec et contre les autres, avec et contre nous-même.
"Un bon sentier, c'est celui qui se perd dans le maquis, qui se referme d'un coup avec ses arbustes sur le dos du promeneur sans nous dire si c'est lui qui le trace le premier ou le dernier de ceux qui l'ont parcouru. Le sentier disparu est celui qu'il faut prendre, le but est de perdre le sentier pour le retrouver et le reprendre. C'est pourquoi il faut préserver la forêt vierge, les arbustes, le sous-bois, le brouillard. La précision du sentier bien tracé est stérile. Trouver le sentier, le parcourir, le sonder en écartant les ronces, c'est la sculpture. "
Giuseppe Penone in "respirer l'ombre " école nationale supérieure des beaux arts 2000
images: polaroids "retour au paysage" 1993