Terre-mère
1985 - Je préparais l’exposition « 30 céramiques » au CEPAC à Caen.
Cela faisait déjà plusieurs années que j’étais installé à Torteval, lorsque, en plein après-midi de cuisson, je reçu le coup de fil de mon père. Je dis en plein après-midi, j’aurais pu dire en pleine gueule. Il ne put, sur le coup, me le dire. Il ne put prononcer d’autres mots : « viens, viens ! »
Ma mère venait de décéder brutalement d’une embolie pulmonaire.
1985 : Mon travail semblait alors trouver sa voie. « 30 céramiques » devaient confronter une quinzaine de plaques émaillées de blanc, accrochées aux murs, à une autre quinzaine de plaques plus épaisses travaillées en volumes, enfumées et posées par terre. Tout paraissait jusque-là aller, suivant le cours normal d’un travail de sculptures qui s’échappait volontairement de l’univers de la poterie d’où je venais.
Invitation à la biennale de Châteauroux, premier achat par la ville… Et tout fut suspendu, par cet appel catastrophique.
En peu de temps, je me suis retrouvé psychologiquement paralysé : Pourquoi continuer et pour qui ? Je découvris soudainement que tout ce que je faisais, l’était pour le regard de ma mère. Plus rien dès lors, semblait n’avoir de raison d’être.
J’ai traversé un passage à blanc pendant lequel je ne comprenais plus pourquoi travailler. 1986, 1987 furent vraiment des années difficiles à ce point de vue, des années de tâtonnement et il me fallut tout reprendre par le menu pour reconstruire un nouveau chemin praticable.
Refusant la pérennité des œuvres, j’arrêtai les cuissons pour m’intéresser davantage à la portée poétique des matériaux. Pour ce faire, je mis en place un vocabulaire symbolique personnel à partir des textes de F. PONGE, G. BACHELARD et B. PALISSY. Il y était question de chemins, de maisons, de temples et de foyers de terre sous formes de minuscules installations que je détruisais sitôt photographiées. J’utilisais beaucoup de matériaux en poudre symboliquement représentatifs des grands règnes. La cendre y jouant à l’instar du charbon, le passage du végétal au minéral.
L’exposition « les magiciens de la terre » en 1989 m’a certainement conforté dans cette histoire mais je ne peux plus dire quelle place chronologique elle prit exactement dans ces travaux. Suivit un long passage de construction d’œuvres in-situ, à l’extérieur de l’atelier. Reconsidérer la pratique de la céramique, mais dehors et sans relation à l’objet. Privilégiant parfois le fait de faire du feu (cuire la terre) au modelage ; c’est ainsi que naquit pour moi, le concept du foyer (le lieu où l’on cuit la terre pour se nourrir, pour se réunir). Le temps de la céramique me paraissait surhumain.
Je regardais, je me souviens, le travail de Wolfgang Laib, celui de G.Penone et tout l’arte povera historiquement proche encore. La remise en ordre du monde cosmique par le dessin de sable, chez les indiens Navajos, avait aussi beaucoup d’importance à mes yeux.
Je n’ai jamais parlé de land art, bien qu’on me proposât souvent d’intervenir dans ce sens. Je considérais plutôt, que tout ce que je faisais prenait racines dans la pratique de la céramique et en était une extension. Une entrée différente dans le monde des modeleurs-cuiseurs. Et ce n’est qu’à partir de 1997 que je décidai de rentrer à l’atelier pour y parfaire un travail de plus en plus interrogatif sur l’objet même de notre pratique. Le bol devint alors un sujet constant autant que les pots, les briques … tout ce qui fait le quotidien d’un atelier de poterie. Tout ce qui porte encore mon travail aujourd’hui.
C’est à l’occasion d’échanges sur l’ensemble de mon travail, que je jette un regard en arrière en tentant d’en éclairer cette période peu montrée. Ce fut pour moi, un pas de côté constitutif de la suite. Cette période signa l’entrée dans mon travail des matériaux fragiles : le bois, la terre crue et les herbes, ajoutant ainsi aux œuvres, l’idée de leur possible disparition. Toutes les pièces qui suivirent, tous les bols, tous les pots prirent en compte ces réflexions sur la fugacité du temps, la fragilité des corps et la futilité des discours.
Ces quelques mois furent certainement les plus fondateurs de mon travail, encore à l’heure actuelle, soulignant une relation Terre/Mère à faire sourire les anthropologues !
image : marques de terre et de cendres dans un champ. 1990