Un jardin à Coutances
Je voulais tout reprendre à la base.
Au départ du travail. Malaxer la terre, la pétrir. Quelle que soit la terre, quelle qu’en soit sa nature, la mouiller, la mélanger et la former en une sculpture - si minimale soit-elle. Je voulais reprendre les gestes les plus simples et les plus partagés. Faire de la boue, ratisser. Dire ce que l’on a de commun. Les céramistes et les jardiniers partagent leur proximité au magma primordial. Nous savons d’emblée au premier regard où sont les pierres, où se cache l’argile. Nous savons ce que nous dit la terre. Ce qu’elle nous dit de nous, de notre capacité à y lire notre devenir. Seuls les buts diffèrent, entraînant une évolution des techniques particulière à chaque métier. Les projets semblent aussi se rapprocher : vivre simplement près des plantes, et… regarder. C’est peut -être ce point qui sera, tout au long de la résidence, le plus important. Dire qu’il n’y a qu’à regarder. Pour peut-être, enfin, voir. Le travail ne peut s’accomplir sans ça et même devient-il obsolète, dépassé devant l’importance de cet acte si doux : regarder le monde vivre, regarder les insectes, les bourdons qui passent de corolles en corolles visitant chaque coquelicot dans un équilibre incroyablement précaire… regarder les jardins se construire après le passage des jardiniers. Regarder le rouge-gorge qui chaque jour vient me rendre visite, posté sur la brouette. Regarder les plantes se développer au sein de la multitude. Ma place, est d’abord contemplative. Même si je me risque, comme toujours, à des travaux physiques un peu difficiles… par peur certainement de ne rien faire… par peur de dire mon impuissance à changer le cours du monde. Par peur d’une abyssale vacuité, qui m’entrainerait inexorablement, vers des constats trop douloureux. Je n’ai d’autre choix que de travailler… remuer ciel et terre, fouler les sols, ratisser large, battre la campagne au risque de m’y perdre. Remonter mes rochers vers d’improbables sommets, et toujours reprendre le modelage… pour la forme. Les mains dans la terre, les mains dans la merde, barbouillées, souillées. Les bottes collées dans la boue fraîchement mélangée. Et la tête toujours dans les rêves d’une possible utopie. L'inatteignable jardin d'Eden, dans une version plus sauvage, moins maîtrisée; une version simplement plus humaine.
Les outils sont basiques : la houe, la pelle, et le croc … la griffe disent-il ici comme si l’outil était trop éloigné du corps. Les outils de jardinier deviennent outils de sculpture. Pour remodeler le monde, en dessiner les reliefs. Les outils et le corps ; l’effort. Comment parler de l’effort sans tenir des propos héroïques ou bêtement moraux ? Comment dire que l’effort permet la divagation des pensées, et le partage des histoires ? C’est l’outil à la main que l’on s’est découvert des points communs, des lectures qui nous ont bousculé. Marc le professeur, et moi, nous remuons la boue en parlant de Jacques Rancière … « le maître ignorant ». La leçon de joseph Jacotot… l’éloge de l’expérience partagée. Regarder pour apprendre. Regarder et faire car les mains nous permettent de penser au -delà des attendus. Le travail permet de se perdre. Et c’est en se perdant que l’on découvre des chemins jusqu’alors inconnus. C’est en se perdant que l'on peut se trouver.
Le chantier avance. Il faudra ensuite engazonner tout le lieu et y planter des fleurs. Pendant ce temps, à la maison, les premières onagres fleurissent annonçant les soirées d’été.