Le travail
Faire une sculpture première.
Pas primitive mais première.
Qui aurait pu se faire avant la symbolisation des signes. Pas d’idée, pas de symbole.
Une sculpture abstraite et pourtant ambiguë qui ferait penser à…
Une sculpture qui parlerait de la sculpture, des sculptures.
Faite comme je fais les dessins.
Le simple fait de poser l’encre sur le papier, c’est déjà le dessin.
Le simple fait de manipuler la terre, c’est déjà la sculpture. Comme le feraient les enfants et pourtant ailleurs aussi.
Ailleurs que dans l’enfance. Dans un monde simplifié au simple fait de faire. Le monde de l’intuition qui me pousse à mettre en forme les images qui surviennent sourdement au moment même où je travaille.
Je fais pour penser.
Faire pensée. Je m’appuis sur le travail produit ou en train de se faire pour construire mon histoire.
Animé par la force des matériaux. Regardant comment ils apparaissent et comment naissent entre eux des relations intimes. Des fusions, des guerres sans merci. Je les rapproche c’est tout. Je les mène en relation avec moi, avec mes mains.
Ma peau, ma tête aussi.
Un son naît du pot que je construis.
Un son comme une échographie au cœur du pot. Issu du pincement régulier, le geste répeté.
Un son qui perdure dans l’atelier et qui accroche la forme à mes oreilles. Le corps entier est attentif, tendu, concentré sur la fabrication.
Je regarde.
Comment la terre rencontre mes mains et comment la forme rencontre mes yeux et mes oreilles.
La cuisson, c’est autre chose, c’est une affaire de temps : changer le temps de la terre. Ralentir. Changer le temps de mon regard. Rien ne se fait sans ce ralentissement général.
Il faut le temps que les choses naissent, qu’elles apparaissent au monde, qu’elle m’apparaissent.
Il me faut ce temps de faire pour entrevoir ce que je suis. Et tous les jours refaire. Inlassablement. Sans compter, ni le temps ni l’énergie.
Refaire pour voir, enfin.
Voir les traits et les espaces du dessin, voir les masses et les couleurs de la sculpture.
Voir l’humanité du pot.