Arno
Le chanteur Arno
dont la voix m’accompagne par moments à l’atelier est mort.
Dans sa dernière interview il dit dans une langue hachée : « C’est bizarre, la musique, c’est pas travailler. Mais les tournées, tout ça, j’en ai besoin, je suis accro »
Nous sommes toujours dans la difficulté avec ce mot : le travail. On l’utilise pour faire sérieux, par peur que le public ne considère pas ce que l’on fait, la peine que l’on se donne. Mais on sait bien que nos histoires sont d’un autre ordre.
Le travail, tel qu'on l'imagine habituellement, on peut en changer. On peut même l’arrêter ! Moi, je ne peux pas, mon travail c’est ma vie et il est hors de question de vivre autrement.
Je n’ai jamais rien fait d’autre ou plus exactement, tout ce que j’ai fait d’autre a servi cette élaboration : la construction d’une pensée en objets. Le travail pour moi est une nécessité existentielle, un long cheminement orné de gestes répétés.
Il semble que l’étymologie du mot travail soit très largement remise en cause aujourd’hui. Certains linguistes parlent même d’arnaque ! Les sources latines qui ramènent le travail à la torture par le trepalium s’éloignent pour privilégier des racines hispaniques ( trabajar ) et se rapprocher ainsi du mot anglais travel. Le travail devient alors un voyage.
Un déplacement d’un point à un autre. L’idée d’un passage qui s’accompagnerait d’une certaine résistance. Une traversée.
Ceci me convient mieux car je n’ai jamais ressenti cette torture dont on nous parlait, au contraire même, il me semble que j’ai toujours eu de l’intérêt à travailler. Et du coup, de la difficulté à en parler sans ambiguïté. Mais c’est vrai que je n’ai que peu trainé mes guêtres dans le monde du travail salarié. Et je peux comprendre que l’idée d’aller au charbon tous les matins ne soit pas aussi excitante que celle d’aller à l’atelier avec le désir d’éclairer un peu mon chemin.
Arno est mort. ça fait partie de mes petits chagrins. J’écouterai encore « dans les yeux de ma mère ». Je l’écouterai encore nous dire : « les tournées j’en ai besoin, je suis accro ». Car il est vrai que c’est de cette dépendance dont on parle : Se lever le matin avec une seule idée : recommencer, remettre sur le métier… et ne se satisfaire que du temps passer à risquer de nouvelles pistes. Quitter l’atelier le soir avec les projets pour le lendemain. Sachant qu’on en ratera beaucoup mais qu’on ne peut faire l’économie de leur expérimentation.
Il faudra tous les essayer et accumuler les résultats. il faudra passer par le travail, passer par la vallée pour atteindre les cols, les passages. Les pièces qui d’un coup d’œil nous font deviner la suite. Comme d’un pas, sur les hauteurs, on découvre un nouveau paysage.