les voyants
Nous rentrons du musée de l’Homme.
Je voulais revoir ce musée dans lequel, gamin, je trainais parmi les vitrines aussi poétiques qu’inquiétantes.
Apeurantes même parfois, lorsque mon regard croisait celui absent de la momie Chachapoyas.
Ils ont refait le musée, les collections sont parties… la momie est restée.
Je voulais pour un temps reprendre les choses par le début. Ne plus parler ni de céramiques, ni de sculptures mais considérer le rapport à mon environnement direct. Voir tout le travail sous un angle plus anthropologique : comment aborder les éléments ?
Comment transformer les minéraux, comment agir sur le paysage ?
Et comment regarder la nuit ?
Les questions essentielles sont posées depuis la nuit des temps. Et nous n’avons de cesse de nous les répéter.
On occupe nos jours à travailler pour que les nuits s’emplissent de rêves et que les angoisses s’éloignent. Ainsi, à la si bête question : Est-ce que vous en vivez ? je ne peux répondre que : oui, je vis !
Je vis mon travail car c’est lui qui me situe et me donne le sens, les directions à suivre.
Loin des modes, loin des problématiques de marché, il met du corps dans le temps et me dit où je suis.
Quand je travaille je sais où je suis… le reste du temps, je vagabonde… et je regarde.
Devant les vitrines on ne se pose plus la question de l’esthétique des choses. Ce qui nous intéresse c’est : Comment ont-ils fait ? Pourquoi l’ont-ils fait ? Et en quoi ces objets (aussi simples soient-ils) deviennent à nos yeux, des témoins culturels, des objets de pensée ?
Et pourtant la beauté nous submerge constamment. On s’émerveille devant le moindre pot, le moindre couteau taillé. Frappé avant tout par l’humilité et la priorité constante donnée à l’objet sur l’auteur. On ne parle d’ailleurs plus des auteurs qu’en termes collectifs : « les Neandertals » ou « les nomades des steppes asiatiques » comme si toutes les entités de ces cultures pouvaient produire les mêmes choses.
L’individu ici devient silencieux. Il s'éfface pour un temps devant l'idée du groupe dont il est issu.
Soetsu Yanagi s’était intéressé à ces peuples fabricants. Il avait compris qu’avant de créer ces hommes savaient voir.
« Ils voyaient ; avant tout ils voyaient. Ils étaient capables de voir. D’anciens mystères s’envolaient de cette vive source du voir » (°)
(°) Soetsu Yanagi. « La voie du thé » in « Artisan et inconnu » ed. l’Asiathèque
image : les ruches, musée de l'Homme