question de style

11 apr. 16

ça commence par un passage de Annie Ernaux,

cueillit dans « Le vrai lieu » :
« Et écrire , écrire vraiment, c’est viser à la connaissance.
Non pas à la connaissance qui est celle des sciences sociales, de la philosophie, de l’histoire, de la psychanalyse, mais à une connaissance autre, qui passe par l’émotion, la subjectivité. Qui dépend de ce qu’on appelait autrefois le style. C’est quoi, le style ? c’est un accord entre sa voix à soi la plus profonde, indicible, et la langue, les ressources de la langue. C’est réussir à introduire dans la langue cette voix, faite de son enfance, de son histoire. »

Et ces phrases résonnent de jour en jour, mettant en avant ce mot dont je me méfie depuis longtemps et que je n’arrive pas à contourner : le style. Il me semblait important, pourtant de contrer cette idée pour pouvoir avancer avec plus de liberté. Tenter des choses en toutes directions. Mais rien dans mon travail n’échappe à cette règle. Rien ne s’éloigne de ce qui pourrait caractériser mon « style ». Rien, car toujours m’échappe mes façons de faire, mes façon de toucher la terre avec tendresse et brutalité, mes façons de poser l’émail rapidement en restant dans les jus, dans le liquide absolu… Ma façon : le mot prend alors valeur d’artisanat. Empli des qualité que commentait Soetsu Yanagi… des savoirs acquis… avec maladresse pour ma part, qui deviendront avec le temps des façons de faire personnelles… un style reconnaissable qui échappe à toute volonté.

Curieusement je reprends ce texte à mon retour de Paris. Apres l’expérience passée là bas, riche des rencontres dans le monde des métiers d’arts pour lequel j’éprouve comme un sentiment d’appartenance lointaine… des cousins que je ne verrais que peu souvent ! Ce milieu où tout s’axe autour des savoirs faire et de leur transmission… je vois bien à quel point je m’en suis éloigné … à quel point la recherche de l’être, me semble primordiale et prioritaire à l’attachement au faire … quelle relation y a –t-il entre le savoir faire et le style? Si ce n’est que le style prend en compte l’histoire personnelle. Qu’il prend en compte toute ma relation physique au matériau au delà des techniques que j’ai pu apprendre. Ce point de vue énoncé par Annie Ernaux, me fait considérer les choses avec plus de positivité, moins de peur que le style ne soit qu’une entrave de plus …

Les brouhahas de Paris s’estompent. Je reprends dans le calme, le chemin de l’atelier car finalement c’est réellement là et seulement là, que ça se passe. Plus de projets d’expos pour le moment. Juste à reprendre le rythme des pièces faites par necessité, sans stress, sans obligations. Reprendre le travail et retrouver les moments forts de l’enfance quand jouant dans la boue je rêvais de fabriques idéales … continuer à chercher les sens profonds de ce qui me pousse a vivre.

image: le ciel dimanche soir au retour de Paris
"le vrai lieu" de Annie Ernaux entretiens avec Michelle Porte paru chez Gallimard