des pierres posées

Le jour se lève sur le Champ du Feu. Les pierres blanches usées nous montrent que nous sommes arrivés. On ne peut se défaire de l’idée que notre corps fait partie de l’ensemble ; que nos silhouettes répondent aux masses de fer érigées au sein de la montagne.
Nous sommes sculptures parmi les sculptures.
Mais nous repartirons, laissant les œuvres enracinées au calme d’un col balayé par le vent

Il faudrait pouvoir parler du silence.Parler du monde du silence pour illustrer autant que possible le travail de Daniel Pontoreau. Il faudrait écrire un univers sans paroles.

Daniel Pontoreau est sculpteur. Il fait des pierres, des stèles, des têtes ébauchées. Il fabrique des formes simples et emblématiques. Il fait des tas, des trous, mais surtout il installe. Il met en espace les éléments d’une langue première qui nous renvoie à ce que l’on a de commun. Tout ce que l’on partage depuis la nuit des temps : la volonté de vivre debout, la passion d’être, face à l’immensité.

Daniel Pontoreau est sculpteur et chacun de ses arrangements nous montre la pesanteur du monde. Rien ne saura déranger l’ordre qui y règne … la forme du jour, la nuit sans mystère. S’y déploient les matériaux du feu : la terre cuite et la fonte de fer, témoins des premières industries humaines. Des matières graves, intemporelles. Méditatives.

Que les sculptures se dressent ou au contraire, qu’au sol elles mettent en scène des jardins, la trace de la main y est toujours présente et apporte aux roches la preuve de l’humain. Un premier geste immémorial, un acte essentiel. Bâtir. Ériger, faire de la sculpture c’est déjà fonder des lieux. Enchâsser la première pierre dans celles qui suivront, comme une relique du poids du monde ancien. La pierre sacrée, celle sur qui l’homme a toujours su dessiner, celle à qui on s’adresse face aux étoiles pour, définitivement bannir notre solitude, en toute fraternité.
On visite les expositions comme on visite les amis. Pour entendre les derniers récits, prendre des nouvelles. Ces installations-là nous parlent de la communauté. Humains entre les humains nous partageons les mêmes signes, les mêmes sensations : nous nous heurtons aux mêmes mystères.

Chaque œuvre, chaque détail nous ramènent à notre propre histoire. Tout est fait à notre mesure. Composé, arrangé. L’espace de la sculpture est l’espace que nous habitons : les pieds dans la boue, la tête aux confins des galaxies. Le sculpteur accroupi dans son atelier, est occupé à modeler la terre sur le sol … la terre sur la Terre. Le but est le ciel ; la sculpture : le chemin.

Quelques marques gravées dans l’argile. Griffures, griffonnages, des signes de passage d’un univers à l’autre, des traces laissées pour les suivants : à ceux qui sauront lire, à ceux qui sauront voir. L’art décille les yeux disait Paul Klee ; le travail de Daniel Pontoreau nous montre la sacralité des lieux communs.

Un trait de lumière, quelques pierres posées suffisent à instaurer la solennité. Rien dans ces sculptures n’est sophistiqué. Rien n’est spectaculaire. Opposé au bavardage, le silence est de terre et le secret reste entier. On dit que dans le désert, le sable chante. Ici c’est le calme qui nous entoure, ponctué par la présence des œuvres lourdes de matière et de sens.
Et pourtant, peu d’émail et peu de couleurs. On est loin du décor. Attachée à la rudesse, la douceur vient à peine des traces d’un kaolin jauni par le feu. Quelques morceaux de feldspath suffisent à rendre les pierres précieuses. La beauté trouve alors sa qualité géologique dans une gamme restreinte de couleurs décidées par le four.

Mais le plus important c’est le creux. Le vide sur lequel les pièces sont construites et la vibration de l’espace entre elles. La densité de l’air et la capacité que l’on a à l’éprouver.
L’important ce sont les passages, les lisières, les zones de frottement. Entre les sculptures c’est encore la sculpture. On ne peut se priver de l’expérience, il faut s’y confronter : errer parmi les œuvres, se promener au sein de leur géographie sensible et être, à ce moment, invité entre le passé de leur réalisation et l’avenir de notre transformation qu’elles suscitent. Tout se joue entre la mouvance du temps et l’immobilité des pièces installées : La permanence du Ma. (°)

P.G. Décembre 2021/Janvier 2022

P Godderidge