à propos de la danse de Sophie Distefano (2011)
à propos de la danse de Sophie Distefano
Autour de nous le monde bouge de tous ses corps … sous ses yeux il danse… c’est ainsi que Sophie Distefano le voit. Partout, chaque geste, chaque déplacement est l’occasion de magnifier la réalité de notre être. Toujours en nous, le mouvement est présent … forcément, puisque l’immobilité nous tue. Mais loin du spectacle, la réalité dansée du monde peut apparaître dans une lenteur extrême, dans un silence seulement occupé par une respiration profonde qui scande alors ce qui se déroule sous nos yeux : Sophie Distefano danse.
Le regard fixe, sourire à peine esquissé, elle pratique une danse dépouillée, qui ne donne à voir que ce dont elle est faite : nos formes hésitantes, nos intimes tremblements, nos errements profonds… la danse ne cache rien. Elle nous montre muables, habités d’une fragilité que l'on n'ose mettre à jour que dans une intimité toujours trop secrète. La concentration est totale, tout alors converge vers la retenue … notre souffle se suspend et nos yeux cherchent ce qui nous est commun. La danse est acte offert, un partage sans drame, une révélation du corps à la lumière de l'instant.
Rien,
ne rien raconter d'autre que nous, ne rien signifier d'autre que le commun. Bouger et découvrir, au fur et à mesure que la danse nous mène, dans quels états elle nous entraine, repoussant la fatigue et l'exprimant par l'effondrement, repoussant la colère et narguant la mort. La danse est verticale. Elle est découverte et toujours visible, elle est… Présent, absolument Présent.
Loin de la préciosité, Sophie Distefano explore les origines de tout ce qui nous met en branle : le muscle, le souffle, l'os. Tout est alors purement physique, simplement abstrait car il n'est d'autres histoires que les nôtres … la narration laisse place à la recherche d'une texture de geste, à la recherche d'une densité si particulière qu'elle ne pourrait se retrouver que par l'expérience. Accueillant tous les possibles, toutes les réponses, envisageant jusqu'à l'informe, simplement à corps ouvert, elle tente de sauver une singularité toujours mise en danger par les canons établis.
Tout,
tout se déroule, sédimenté sur le souvenir des performances passées. Tout est sujet à voir, tout est racine d'un déplacement surprenant, d'un enchainement improbable qui d'un coup nous cueille, surpris par un spectacle que l'on n’attendait pas … improviser pour dire que la danse s'accompagne. Il faut alors la laisser s'épanouir et n'avoir peur de rien : les formes naissent et se défont sans jugements, sans censures, sans chercher à savoir si elles pourraient séduire. Délibérément elles projettent notre image et la danseuse alors, doucement, nous dit ce que nous sommes, nous le montre par le menu! … il n'est pas de souffrances, pas de plaisirs éclatants mais un moment fluide où le corps se déploie. Tout alors s’enchaine, tout se déroule dans une logique organique, et voulue, alors que les ruptures construisent le propos vers une utopie expressionniste d'une liberté jamais assouvie.
Le temps même devient mouvant : il s'étire et se resserre au gré d'une chorégraphie remise en cause à chaque instant. Le temps est élastique comme le muscle, souple comme les chairs, il reprend toujours sa place, mais toujours chargé d'une histoire nouvelle.
Il n'est de décor que celui dans lequel on vit : le marché du dimanche, le sous bois, la plage. Il n'est de costume que le plus quotidien : jean et tee shirt, chaussures si besoin. La musique aussi vient de la danse elle-même, du profond : respire, s'exhale et résonne en nos propres creux : curieuse sensation d'un dépouillement baroque.
Presque rien
Toujours à l’écoute, les pores de la peau poreuse cherchent à capter les vibrations du monde. Impossible pour nous de déceler ce qui provoque le départ. On ne peut que constater un changement d'état, une direction nouvelle, un peu mal à l'aise devant un déséquilibre que l'on espère passager tant il nous oppresse. L'infime est la loi, le presque rien qui fait tout basculer. Dès que l'on perçoit ce qui se passe, c'est déjà trop tard, ce qui se passe est passé et déjà d'autres histoires se créent, d'autres formes apparaissent. Avant la danse, il y a la danse encore, mais celle qu'on ne voit pas : la danse interne d'un corps tendre toujours à l'affût d'une autre sensation, d'un autre chemin. La danse d’un corps qui, au delà du projet, impose sa forme propre par nécessité et besoin, impose ses rythmes.
"Végétal", "Animal", "minéral"; l'univers se résume à quelques pas, quelques mesures silencieuses d'une danse impossible à contraindre. Tout y est mis en œuvre pour éloigner la théâtralité, repousser le rituel et ne garder que l'essence. Tout doit se montrer dans la banalité des jours, car c'est là que la réelle richesse est présente, c'est là que le mouvement acquiert toute son inventivité, lié encore à l'utilité de nos besoins. Sophie Distefano danse pour éloigner nos démons. Elle est de ces sourcières qui n'inventent mais découvrent, et font jaillir au jour les énergies enfouies, les sources bénéfiques. Elle en suit les courants dansant sans heurt, sans contre sens, lâchant la maitrise pour savourer l'imprévu, et soudain, elle éclate d'un rire qui nous rappelle la possible légèreté de nos vies.
"il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir enfanter une étoile qui danse"(*), il en faut nécessairement pour la regarder danser.
hiver 2010 / été automne 2011
(*)Friedrich Nietzsche « ainsi parlait Zarathoustra »
PG