du hasard à l'accident

 

                                                                             - Avez vous rencontré des indiens par hasard ? 
                                                                             - oui, mais certainement pas par hasard ! 
                                                                               Joséphine Bacon, poète inuit

 

 

A Ravent le 05 février 2012

 Il n’a jamais été question de faire ce qui était attendu …  seulement peut-être,  ai je voulu continuer une pratique acquise lors d’un apprentissage ? y trouver des prolongations qui suffiraient à emplir ma vie ?…  j’ai appris la céramique dans un atelier de poterie . on y tournait des pots que l’on cuisait dans un four à bois … on y parlait de la puissance du feu, et du hasard des flammes … pourtant à chaque fournée, on essayait de retrouver telle atmosphère,  on essayait de retrouver telle qualité de bois pour suivre une courbe de cuisson, qui avait bien marché, et on reprenait consciencieusement les notes du précédent enfournement pour répéter (ou le tenter),  les passages de flammes qui allaient orner nos pots … pouvons nous parler de hasard devant une telle organisation ? 

le hasard du feu : c’est une expression que l’on entend dans les ateliers …  Man Ray disait que toute œuvre plastique est le résidu d’une expérimentation.  ce qui sort des fours est toujours le résultat d’une somme de constatations et d’apprentissages mis en œuvre, mis en place pour provoquer ou retrouver l’image d’un résultat  rêvé.  

 La pratique de la céramique nous renseigne sur notre volonté de maitrise du monde  et je connais finalement peu d’artistes prêts à un total lâcher prise sur la notion de résultat. si la connaissance passe par la révélation et la compréhension de tous ces phénomènes, la seule façon d’en rendre compte, serait de les répéter, de les refaire à loisir  plutôt que d’en découvrir chaque jour de nouveaux ?… peut –être, est - ce là les dernières marques d’un attachement à l’artisanat, dont le monde de la céramique  est issu ? peut –être est-ce là, une façon de se rassurer  devant  l’énormité des transformations possibles ? peut –être est-ce là, simplement, la preuve de notre vanité à toujours  vouloir montrer notre pouvoir  sur la matière … quelle curieuse contradiction :  s’émouvoir devant un soi-disant hasard et chercher à tout prix à le refaire au risque d’en émousser la magie. au risque de le dénaturer et qu’il ne devienne qu’une figure de style ?   le hasard n’existe pas dans nos ateliers puisque tout y est mis en œuvre pour que les évènements se produisent … et que quand ils échappent, c’est de toutes façons dans les limites de ce théâtre. dans les limites d’un monde où la maitrise en toute conscience  sert bien souvent  les idéaux  des auteurs … de qui, de quoi faudrait il être le maître ?

  J’ai toujours cultivé une tendance à la contemplation ; tout me pousse à la non maîtrise pour garder intacte la surprise  et entretenir ainsi, le désir de la découverte …  le mot est donc  lâché : Le désir !   tout tourne autour de ça, tout s’organise autour de cette idée d’une gourmandise absolue :  je voudrais tout gouter, tout voir… tout faire peut –être ?…il faudrait alors trouver une voie plus active  entre action et contemplation ! … 

j’aimerais accéder à ce qui n’entre pas dans l’ordre habituel des aventures programmées. me délecter des plaisirs de la digression …  m’éloigner de l’abstraction du concept  pour témoigner d’une pratique plus charnelle et plus aventureuse.  Une pratique totalement intuitive, éprouvée  du corps entier … comment parler de hasard alors que tout est prévu pour mettre en forme une telle vision du monde ?  tout est prévu pour provoquer  l’excitation  au constat de l’accident  … tout est prévu pour me mettre face à mes difficultés à accepter de voir  les choses telles qu’elles arrivent et telles qu’elles sont. constamment ballotté entre le désir du  désir et le rêve d’un non désir qui me ferait profiter pleinement de toute cette histoire. mais cette sérénité est si loin de moi.   je m’organise alors, pour que l’accident  se passe…  sans moi,  sans décisions autres que celle de le regarder  et de me l’approprier. l’accident devient le sujet de la sculpture.  Il aura  fallu pour ça, quitter l’idée d’une production qui systématiquement appellerait la reproduction des effets. quitter l’idée d’une quelconque prévision … arrêter de prendre des notes, ou ne noter que les sensations, les retours au corps …  les contingences. Rester dans une totale imprécision, y compris dans mes températures de cuissons ;  tout se fait, dès lors,  à l’œil, dans l’à peu près, dans l’incertain.    il n’est plus question de recettes, il n’est plus question de savoir non plus, mais simplement de présence, de disponibilité. il faut assurer quotidiennement un regard curieux et mettre en place des processus qui me dépasseront  et surtout, toujours aller voir ailleurs si j’y suis, ailleurs si j’y fais aussi, ne jamais me contenter  d’un résultat. ne jamais le hiérarchiser et le prendre pour ce qu’il est. il n’y a pas de formes plus belles que d’autres .. il y a  une infinité de formes, une infinité de couleurs, et mon travail consiste alors, à explorer tous ces possibles. à voir ce que je n’ai jamais vu,  à me surprendre  là, où parfois ça grince, là où parfois j’ai du mal …  et repousser sans cesse plus loin  la notion d’étrangeté pour considérer le monde en son extrême diversité.

les petites expériences sont souvent mères de bouleversements,  et ce que j‘ai pu croire erreur, devient source d’un monde nouveau. j’avance maintenant par empirisme .  essayant, expérimentant à chaque pièce une « micro façon de faire »,  dont les particularités ne sont peut-être même pas visibles,  une voie discrète à chaque fois remise en cause, à chaque fois décalée… trouver ce qui  provoquera l’accident qui ouvrira sur des formes improbables, sur des couleurs non imaginées : des superpositions impossibles, des dégoulinures catastrophiques ... il s’agit bien de ça : regarder le monde des catastrophes comme un lieu d’apprentissage  du réel.  mais n’est ce pas là encore un mirage ? comment concevoir qu’on organise les conditions nécessaires à l ‘accident … Pollock le niait, moi, je fais avec.

 et c’est au cœur du bordel de l’atelier, et dans  ce qu’il provoque de mise en proximité des objets et des choses, qu’apparaissent les rencontres inopinées.  les sculptures viennent aussi de ces rapprochements non voulus,  de ces côtoiements incongrus …  surprenants. l’accident perd alors toute brutalité,  et les sculptures naissent…  accidentellement.

 Aristote opposait l’accident à l’essence. les sculptures produites à l’instar du vivant, ne pourraient-elles pas être, par essence, accidentelles ? l’accident serait alors source de l’art !  si le hasard ne nous doit rien, l’accident lui, peut toujours être provoqué.   il replace alors l’artiste en élément provocateur.  je suis provocateur de catastrophes qui n’ont d’impacts que sur ma vie, qui ne bouleversent que ma pensée, des catastrophes intimes, secrètes, des bouleversements cérébraux, des tsunamis neuronaux qui agitent mon histoire par vagues successives. balayant les certitudes, ouvrant les portes des terres inconnues … Hic sunt dracones :  là vivent les dragons ! j’explore ces territoires. combats mes dragons, ceux  du bien pensé, mes dragons du bien fait, du lisse  et de l’attendu … ne jamais rien attendre d’un travail engagé ; le suivre simplement  et accepter la déroute comme possibilité d’une vie nouvelle. Chaque pièce devient alors, la trace d’une pensée éternellement nomade.  Comme un retour à l’avant. lorsqu’était le temps du constat des transformations accidentelles, lorsqu’il s’agissait de comprendre pourquoi la terre durcit au feu. la céramique est née d’une surprise . 

Il n’est, ni ne sera jamais question de faire ce qui est attendu ! 
 il neige dehors  et la lumière est froide,  putain, c’est beau l’hiver ! 

 


PG