raku?
Ce texte a été lu aux rencontre de giroussens en ocobre 2012 entrecoupé d'une lecture aléatoire du catalogue enitherm
02 septembre
Comment parler du raku de manière singulière? Comment parler de ce que je fais, quand au delà des mots, les oeuvres ne peuvent que montrer ce qu'on ne peut en dire. Dès le début de cette histoire, j'ai eu l'intuition que je pouvais échapper aux règles esthétiques que j'avais alors apprises et avec lesquelles je me débattais. Venant de la poterie de grès, il me semblait que la fragilité du raku était plus humaine, plus proche de la chair. Qu'il me serait alors plus facile d'incarner mon travail. Il me semblait que le raku laissait plus de place à la rature ; plus de place à l'aventure, dans une réalité plus instantanée, moins projetée … Il me semblait que j' allais pouvoir assouvir mon envie d'un travail plus expérimental que la production dans laquelle je me sentais enfermé. Je voulais sortir de l'idée de l'harmonie pour travailler dans la quotidienneté d'une confrontation permanente, rapports tumultueux des couleurs et des formes, friction des couleurs entres elles, digression du projet qui s'abime dans la réalité du faire. L' harmonie m'ennuie. J'y préfère le brouhaha, le chaos, l'imprévu. Le raku soudainement m'apparaissait comme une solution salvatrice … à la fois chair et peau … il me semblait que, passant par le japon, que je ne connaissais pas, j'allais pouvoir très vite retourner à moi même. Au profond de moi même mettant en avant toutes mes incertitudes.
05 septembre
je pensais alors m'attacher davantage à pourquoi je fais des pièces et non pas comment je les fais. La simplicité de la technique mise en œuvre m' aurait permis de me concentrer sur le sens des choses. Est ce vraiment un choix? Ou simplement l'histoire qui fait que je n'ai plus travaillé qu'avec cette approche ? Ma vie ne se limite pas à la céramique, et mon besoin constant de temps s'accommode bien de la rapidité de réalisation des pièces ainsi faites . Il me faut trainer beaucoup avant de prendre la décision de commencer un travail. Mais une fois cette décision prise, tout s'enchaine dans une suite d'expérimentations rarement renouvelées. J'ai très vite compris que le comment faire est directement lié au pourquoi.. Et que tout dans cette tentative allait être important : les outils, les matériaux, le lieu de travail. Tout le reste de ma vie aussi, qui ne devait plus converger que vers cette idée : devenir pratiquant… mais pratiquer sans dogme.
06 septembre
Je suis toujours attiré par la simplicité des poteries en terre vernissée. Par leur brillance … les vernis de plomb. J'ai toujours aimé les tas de vaisselle dans les magasins de poterie en Afrique du nord. J'ai souvenir de poteries du Pré d'Auge alignées sur les étagères du "bazar parisien" rue de la mer, près de la plage à Courseulles. Les ai-je rêvées? Ces pots là ne devaient rien à l'art. Mais le vert brillant de leur glaçure jetée sur les flancs était pour moi d'une force presque décalée. Tout avance au fil des rencontres ; un collage sonore de Scanner, une sculpture de William Tucker, un poème de David Antin, un couscoussier de Guellala, une photo noir et blanc d'un bol d'Onisaburo dans un livre de Camille, quelques urnes alignées dans les placards de l'ancien musée de Carnac. Tout est considéré à la même hauteur, avec le même intérêt et la même curiosité. Il n'est pas de grandes et de petites choses, il y a juste des choses qu'il est possible à un moment de croiser, car enfin on est prêt. Il faut tout réunir alors, pour tenter de définir les contours incertains d'un monde à peine entrevu.
07 Septembre
Où se situent les passages? Où se situent les lisières si fécondes? Y a-t-il une frontière entre le raku et la terre vernissée? Si ce n'est l'histoire, la grande histoire mythique du raku … dont je me suis toujours méfié car elle ne m'appartenait pas. J'ai eu peur alors de tomber dans un orientalisme désuet qui n'avait rien à voir avec ce qui me révoltait. Mais que faire de ces bols? Les considérer comme des figurations?… Des idées prenant la forme de bols? C'est bien ça qui m'a permis cette visite du musée de Kyoto ; où j'ai eu la sensation d'être à chaque fois, à chaque pièce, devant l'affirmation d'une image singulière du monde. Et cette vision, toujours tenace d'une émotion libre qui traverse le temps et les frontières. Quelle est la limite si ce n'est le sens culturel des pièces? Du raku je ne garde que l'enveloppe physique, l'apparence. Je n'en garde que l'empirisme et la volonté de rester bricoleur. Mais le raku que je fais perd ses références, il en perd son nom aussi. Est-ce encore du raku? Est-ce important d'y répondre?
08 septembre
Je fais les choses comme elles viennent : sans volonté de classification dans telle ou telle catégorie. Est-ce de la Sculpture? Est-ce encore de la poterie? Est-ce du raku? Est-ce encore de l'art ? Ou est-ce simplement, une façon comme une autre de dérouler ma vie, avec le moins de casse possible? Une façon de m'organiser face au drame annoncé? Une façon de résister coute que coute à la barbarie? Rester vivant, en essayant par la pratique de la céramique de mettre en forme ce qui m'anime, ce qui toujours dans l'atelier me sort du noir. Melancholia. Les ateliers d'artistes restent allumés le soir pour parer aux naufrages. Ils sont les lieux de la transformation du monde, de sa remise en forme symbolique. Encore faut-il trouver les formes qui le renouvelleront. S'appuyer sur l'histoire pour naitre à nouveau, mais ne pas avoir peur du sacrilège. Oser la transgression, le sacré de nos entreprises s'accommode aisément du blasphème.
09 septembre
Il ne sera donc plus question que de désir et d'intuition, il n'est donc plus question que d'un présent absolu. Pourquoi le raku? Je ne sais pas, mais c'est par là que je devais passer. La pauvreté peut-être? La pauvreté des techniques mises en œuvre, au sens d'un "arte povera" … Mais ma pauvreté aussi, inhérente à mes choix de vie qui me fait travailler avec rien ou presque. Je m'y suis attaché. J'aime me dire qu'avec ce peu de besoin, partout je peux cuire, partout je peux modeler, partout je peux construire. Alors que curieusement et contradictoirement, je sais qu'il me faut m'arrêter, m'ancrer dans un lieu pour tenter d'attraper un bout de la globalité qui m'entoure. C'est une question de temps : m'enraciner saisons après saisons. Je ne suis pas un nomade. Je reste dans la tradition sédentaire de la céramique, celle qui m'attache à l'atelier, celle qui me remet au ventre. Il n'y a rien plus rien à faire que de travailler. Fabriquer. Mais fabriquer avec peu, m'échappant le plus possible des technologies couteuses et de leurs logiques aberrantes, pour revenir au sens premiers des matériaux car tout est déjà là, sous mes pieds : dans la terre, dans l'herbe, dans les arbres devant la maison .ya qu'a se baisser! saisir les matières à mains pleines, les malaxer et tenter de les transcender au feu d'un athanor impie.
10 septembre
C'est aussi la possibilité de travailler les pièces une par une qui m'a fait rester dans cette voie. Ne plus penser en terme de four, en terme d'ensemble, en terme de production. Mais essayer seulement de mener à bien la pièce commencée. Lui trouver des couleurs : du vert du pré d'auge, du jaune de Guellala, les trois couleurs tang, et ces bleus égyptiens. Les sources jaillissent de partout. Cuire et recuire jusqu'à ce que la pièce semble terminée. Jusqu'à ce qu'il en naisse quelque chose qui m'échappe, au contraire de la maîtrise, profiter alors de ce qu'elle donne à voir. La pratique s'accompagne d'un sentiment de découverte constante. Faire le tour de la terre, débroussailler, défricher, avancer dans les buissons de la connaissance : je cherche des chemins plutôt que des racines. Faire de la céramique et relire sans cesse le livre de l'intranquilité. Je ne travaille pas tous les jours à l'atelier, mais tous les jours j'y passe, pour voir, pour sentir ce qui s'y trame secrètement et que je prendrai au passage à la prochaine occasion. Certaines pièces avancent toutes seules quand je ne les regarde pas. C'est quand je reviens que je vois ce qu'elles sont.
11 septembre
Ce matin il fait très humide et les brûleurs sont déjà allumés. Je vais cuire quelques petites pièces. Cuissons de couleurs; je n'ose plus dire cuisson d'émail, tellement tout ça est bricolé. Je vais rajouter une peau, une mue sur les terres déjà cuites. Une peau qui se construit de couches en couches au fur et à mesure des cuissons … retouches, recouvrements, repentirs incessants. Rarement la première cuisson suffit. Il faut stratifier le travail, le sédimenter dans le temps et dans l'espace, pour créer le derme qui protègera le vide, éloignant la peur d'une matière trop nue, impudique. Les cuissons sont rapides et se suivent comme des actes tranchés .… "Cuissons rapides" cela suffirait-il à définir ce que je fais? Ne faudrait-il pas dire cuissons rapides mais répétées… cuissons rapides quoique? tellement tout peut être, à ce niveau, remis en question. Je préfère plus simplement dire que je fais de la terre cuite … engobée, émaillée, recouverte de terre crue parfois. Tout ici, nait de l' impatience, d'une fébrilité incontrôlable qui me fait marcher de long en large de l'atelier au four … tracer le chemin par pas répétés, comme je répète les passages de couleurs sur la pièce croyant, espérant pouvoir matérialiser la vision que j'en ai eu. Peu de place laissée au hasard … beaucoup à l'accident.
12 septembre
Puis il y a le format … petit forcément. La ceramique m'oblige à cette réalité. Penser grand sur une petite forme. Garder présente les leçons de Paul Klee et celles de Chojiro. La leçon fut grande à Kyoto devant ces petits bols noirs : la nuit entière aurait pu tenir au creux de mes mains. "La mesure de la terre et la mesure de l'homme sont les même" disait Joseph. Chaque pièce est à la mesure du monde. Mais nos mains sont si petites et notre œil a tant de mal à embrasser tout ce qui nous entoure. Les collines de Kyoto animent les lèvres des bols de Kichizaemon. Les paysages se condensent sur les parois des pièces d'Onisaburo, tout alors autour de nous se densifie. Il y a dans ce format là, l'humilité nécessaire. Celle qui nous oblige à baisser la tête pour regarder les œuvres, comme on la baisse pour poser les yeux sur le livre., au contraire des trois pas en arrière que l'on fait devant une oeuvre de grand format. il s'agit là de s'impliquer dedans . Le resserrement incite à la l'invention. Rien alors ne laisse place au spectacle, tout est préservé dans l'intimité de nos histoires.
13 septembre
Expérimenter sans cesse car c'est seulement ainsi que se construit la pensée. Mettre la matière en mouvement jusque dans les mutations les plus intimes que la chaleur lui inflige, car ces changements sont encore la source d'une pensée de la transformation de tous les jours . " Every day is a good day", chaque jour est un jour de cuisson possible, un jour de changement des états de nature. Un jour d'infime bouleversement. Et si la brutalité du raku est une forme élégante de résistance, à certaines pratiques qui n'imaginent même plus ce que serait l'idée de nature, alors oui!, je fais du raku, et non! je ne suis pas prêt de m'arrêter. J'ai le feu au cul. Le feu sacré, celui des espoirs sans cesse bousculés, celui des attentes jamais assouvies. Celui qui constamment me pousse vers l'atelier … comme secoué par un obligatoire réflexe!
PG septembre 2012